(lola) i'm a nightmare dressed like a daydream

my life isn’t a game.

« Dis-moi quelque chose que je serai le seul à savoir » sourit-il en repoussant doucement ses longs cheveux bruns derrière son épaule. Lola le regarde, les yeux plein de défis. Elle le laisse faire lorsqu’il se penche et dépose un baiser dans le creux de sa clavicule, esquisse même un petit sourire en sentant son souffle chaud contre la peau nue de son cou. « Pourquoi ? » murmure-t-elle de sa voix enjôleuse. L’espace de quelques secondes, il détourne le regard et semble presque gêné. « Parce que j’aimerais connaître la vraie Lola, celle que tu caches derrière tes petits sourires énigmatiques et ton habitude à lever les yeux au ciel. ». Comme pour illustrer ses dires, elle roule des yeux en souriant. Elle ne lui donnera jamais ce qu’il veut, elle ne leur donne jamais ce qu’ils attendent d’elle.  

Par où pourrait-elle commencer de toute manière ? Est-ce que ça l’intéresserait vraiment de savoir que ses parents, deux sud-coréens fuyant leurs familles étouffantes pour vivre leur amour au grand jour, ont posé leurs valises à Manhattan il y a plus de trente ans ? Est-ce qu’il comprendrait la honte qu’elle ressentirait en lui disant qu’ils ont changé de noms, qu’ils se sont américanisés pour mieux s’intégrer ? Tellement bien s’intégrer que son père gère aujourd’hui l’une des succursales d’une grande entreprise spécialisée dans les nouvelles technologies et que sa mère tient un café-pâtissier où elle propose des mets coréens aux touristes comme aux locaux. Coréens quand ça les arrange finalement les Hollingsworth. Tiens, parlons-en de ce nom justement. Ici, la plupart des gens la connaissent sous le pseudonyme de Lola, c’est tout. Certains ont retenu le nom Jones, mais ça ne va pas plus loin.

Tomberait-il des nues en apprenant que la Lola Jones qu’il aime baiser jusqu’à l’aube s’appelle en réalité Elizabeth Hollingsworth ? Probablement oui. Mais l’incompréhension et la colère laisseraient vite place à la pitié quand elle lui apprendrait la maladie de son frère jumeau puis son décès à l’âge de douze ans. Les gens avaient toujours pitié de toute manière. Avaient, parce qu’elle n’a plus compté cette histoire à personne depuis plus de dix ans maintenant. Personne ne doit savoir, jamais. Elle aime trop qu’on la craigne Lola, qu’on la désire, qu’on se batte pour l’avoir. Elle ne veut pas de câlin réconfortant et de mine déconfite quand on lui demande de ses nouvelles. Ah ça non, jamais.

Alors elle ne lui dira pas que c’est après la perte de son âme-sœur, sa moitié, que tout est partie en vrille. Elle passera sous silence toutes ces disputes avec sa mère, ses crises de larmes quand elle la suppliait de prononcer le prénom de son frère, d’arrêter de faire comme s’il n’avait jamais existé juste pour sauver les apparences. Elle ne dira jamais à personne à quel point elle a souffert. Personne ne doit savoir, jamais.

Et puis ensuite, comment lui expliquer qu’elle a pris la fuite avec des milliers de dollars en poche quelques heures avant ses dix-huit ans, comment lui dire qu’en plus d’être une lâche et une menteuse, c’est également une voleuse ? Parce que cet argent n’était pas le sien, c’était celui de son père.

Et admettons qu’elle veuille s’ouvrir à lui et se confier, elle ne pourrait jamais aller plus loin dans son récit. Sa rencontre avec celui qui lui a sauvé la vie,  lui a donné un toit, une nouvelle identité, une famille, une raison de vivre. Elle ne pourrait jamais lui dire. Ce serait trahir le gang, trahir la famille. Et mettre leur vie en danger, à tous. A elle pour avoir parlé, à lui pour l’avoir écouté, et à toute la famille si son petit plan cul venait à devenir trop bavard. Non, impossible pour Lola de lui dire quoi que ce soit. Sa vie est compliquée, bien trop compliquée pour lui. Il l’a croit simple infirmière des urgences et c’est mieux ainsi, il n’a pas besoin de savoir qu’elle est avant tout l’infirmière du gang, leurs oreilles en centre-ville. Ça non.

Alors elle enroule ses bras autour de son cou, croise ses doigt derrière sa nuque brûlante et se perche sur ses genoux, ses cuisses de part et d’autres des siennes. Il ne peut pas lui résister comme ça, pas quand elle est à moitié nue à califourchon sur lui. « Tu veux vraiment discuter maintenant ? ». Visiblement tiraillé entre la déception de ne rien apprendre sur elle une nouvelle fois et l’excitation grandissante, il met quelques secondes à répondre. Mais c’est trop long pour Lola. C’est pour cela qu’elle se lève, enfile à la va-vite son t-shirt qui traînait là, fourre son soutien-gorge dans son sac à main et se tourne vers lui en soupirant. « Une prochaine fois, si tu n’es pas trop bavard. ». Puis elle quitte les lieux sans demander son reste, parce qu’elle est comme ça Lola, insaisissable, indéchiffrable, incompréhensible.